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mercvre de france—i-1900

Parmi les cris variés, on entendait des disputes, des reproches, des gémissements de gens harassés et à bout de forces, et la plupart des voix étaient rauques et faibles. Par-dessus tout dominait le refrain :

— Avancez ! de la place ! Les Marsiens viennent !

Aucun des fuyards ne s’arrêtait et ne quittait le flot torrentueux. Le chemin débouchait obliquement sur la grande route par une ouverture étroite et avait l’apparence illusoire de venir de la direction de Londres. Cependant une sorte de remous était produit à son entrée par les plus faibles, qui étaient repoussés hors du courant, mais qui pour la plupart ne s’arrêtaient qu’un instant avant de s’y replonger à nouveau. À peu de distance dans le chemin, un homme était étendu à terre avec une jambe nue enveloppée de linges sanglants, et deux compagnons se penchaient sur lui. Celui-là avait le bonheur d’avoir des amis.

Un petit vieillard, la moustache grise et de coupe militaire, vêtu d’une redingote noire crasseuse, arriva en boitant, s’assit, ôta sa botte et sa chaussette ensanglantée, retira un caillou et se remit en marche clopin-clopant ; puis une petite fille de huit ou neuf ans, seule, se laissa tomber contre la haie, auprès de mon frère, en pleurant.

— Je ne peux plus marcher ! Je ne peux plus marcher !

Mon frère s’éveilla de sa torpeur, la prit dans ses bras et, lui parlant doucement, la porta à Miss Elphinstone. Elle s’était tue, comme effrayée, aussitôt que mon frère l’avait touchée.

— Ellen ! cria dans la foule, une voix de femme éplorée, Ellen ! Et l’enfant se sauva précipitamment en répondant : Mère !