Page:Mercure de France - 1900 - Tome 33.djvu/156

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
157
la guerre des mondes

« Avancez ! faites de la place ! hurlaient les voix.

— Éter-nité ! Éter-nité ! » apportait l’écho.

Des femmes au visage triste et hagard piétinaient dans la foule avec des enfants qui criaient et qui trébuchaient ; certaines étaient bien mises, leurs robes délicates et jolies toutes couvertes de poussière, et leurs figures lassées étaient sillonnées de larmes. Avec elles, parfois, se trouvaient des hommes, quelques-uns leur venant en aide, d’autres menaçants et farouches. Luttant côte à côte avec eux, avançaient quelques vagabonds las, vêtus de loques et de haillons, les yeux insolents, le verbe haut, hurlant des injures et des grossièretés. Il y avait de vigoureux ouvriers, se frayant un chemin à la force des poings ; de pitoyables êtres, aux vêtements en désordre et paraissant être des employés de bureau ou de magasin, se débattaient fébrilement. Puis mon frère remarqua au passage un soldat blessé, des hommes vêtus du costume des employés de chemin de fer et une malheureuse créature qui avait simplement jeté un manteau par-dessus sa chemise de nuit.

Mais malgré sa composition variée, cette multitude avait divers traits communs : sur les faces se peignaient la douleur et la crainte, et la peur semblait les poursuivre. Un soudain tumulte, une querelle entre gens voulant grimper dans quelque véhicule leur fit hâter le pas à tous, et même un homme si effaré, si brisé, que ses genoux ployaient sous lui, sentit pendant un instant une nouvelle activité l’animer. La chaleur et la poussière avaient déjà travaillé cette multitude ; ils avaient la peau sèche, les lèvres noires et gercées ; la soif, la fatigue et leurs pieds meurtris les accablaient.