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la guerre des mondes

Mon frère entendit des voix qui criaient :

— Avancez ! avancez ! faites de la place !

On aurait cru marcher, pour gagner le point de rencontre du chemin et de la grand’route, dans l’épaisse fumée d’un incendie ; la foule mugissait comme les flammes, et la poussière était chaude et suffocante. À vrai dire, et pour ajouter à la confusion, une villa brûlait à quelque distance de là, envoyant des masses de fumée noire à travers la route.

Deux hommes passèrent auprès d’eux, puis une pauvre femme portant un lourd paquet et pleurant ; un épagneul perdu, la langue pendante, tourna, défiant, et s’enfuit, craintif et pitoyable, au geste de menace de mon frère.

Autant qu’il était possible de voir sur la route dans la direction de Londres entre les maisons de droite, un flot tumultueux de gens était resserré entre les murs des villas qui bordaient la route. Les têtes noires, les formes pressées devenaient distinctes en surgissant de derrière le pan de mur, passaient en hâte et confondaient de nouveau leurs individualités dans la multitude qui s’éloignait et qu’engloutissait enfin un nuage de poussière.

— Avancez ! avancez ! criaient les voix. De la place ! de la place !

Les mains des uns pressaient le dos des autres ; mon frère tenait à la tête du poney, et, irrésistiblement attiré, il descendait le chemin lentement et pas à pas.

Edgware n’avait été que confusion et désordre, Chalk Farm un chaos tumultueux, mais ici, c’était toute une population en mouvement. Il est difficile de s’imaginer cette multitude. Elle n’avait aucun caractère distinct. Les personnages passaient inces-