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Ils firent une sorte de campement au bord de la route, et le poney fut tout heureux de brouter la haie à son aise. Mon frère raconta aux deux dames de quelle façon il s’était enfui de Londres et il leur dit tout ce qu’il savait de ces Marsiens et de leurs agissements. Le soleil montait peu à peu dans le ciel ; au bout d’un instant leur conversation cessa pour faire place à une sorte de malaise et ils furent envahis de pressentiments funestes. Plusieurs voyageurs passèrent, desquels mon frère obtint toutes les nouvelles qu’ils purent donner. Les phrases entrecoupées qu’on lui répondait augmentaient son impression d’un grand désastre qui survenait à l’humanité, et enracinèrent sa conviction de l’immédiate nécessité de poursuivre leur fuite. Il insista vivement auprès des dames sur cette nécessité.

— Nous avons de l’argent, commença la jeune femme — et elle s’arrêta court.

Ses yeux rencontrèrent ceux de mon frère et son hésitation cessa.

— J’en ai aussi, ajouta-t-il.

Elles expliquèrent qu’elles possédaient trente souverains d’or, sans compter une banknote de cinq livres, et elles émirent l’idée qu’avec cela on pouvait prendre un train à St Albans ou à New Barnet.

Mon frère leur expliqua que la chose était fort vraisemblablement impossible, parce que les Londoniens avaient déjà envahi tous les trains, et il leur fit part de son idée de s’avancer à travers le comté d’Essex, du côté d’Harwich, pour, de là, quitter tout à fait le pays.

Mrs Elphinstone — tel était le nom de la dame en blanc — ne voulut pas entendre parler de cela et