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la guerre des mondes

« Donnez-moi les guides », dit-elle, et elle caressa du fouet les flancs du poney. Au même moment, un coude de la route cachait à leur vue les trois compères.

Ainsi, d’une façon tout à fait inespérée, mon frère se trouva, haletant, la bouche ensanglantée, une joue meurtrie, les jointures des mains écorchées, parcourant en voiture une route inconnue en compagnie de ces deux femmes. Il apprit que l’une était la femme et l’autre la jeune sœur d’un médecin de Stanmore qui, revenant au petit matin de voir un client gravement malade, avait appris à quelque gare sur son chemin l’invasion des Marsiens. Il était revenu chez lui en toute hâte, avait fait lever les deux femmes — leur servante les avait quittées deux jours auparavant — empaqueté quelques provisions, placé son revolver sous le siège de la voiture (heureusement pour mon frère) et leur avait dit d’aller jusqu’à Edgware, avec l’idée qu’elles y pourraient prendre un train. Il était resté pour prévenir les voisins. Il les rattraperait, avait-il dit, vers quatre heures et demie du matin. Il était maintenant neuf heures, et elles ne l’avaient pas encore vu. N’ayant pu séjourner à Edgware à cause de l’encombrement sans cesse croissant de l’endroit, elles s’étaient engagées dans ce chemin de traverse. Tel fut le récit qu’elles firent par fragments à mon frère, et bientôt ils s’arrêtèrent de nouveau aux environs de New Barnet. Il leur promit de demeurer avec elles au moins jusqu’à ce qu’elles aient pu décider de ce qu’elles devaient faire ou jusqu’à ce que le docteur arrivât, et afin de leur inspirer confiance il leur affirma qu’il était excellent tireur au revolver — arme qui lui était tout à fait étrangère.