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la guerre des mondes

ment ce dernier résultat. La nuit du dimanche fut la fin de toute résistance organisée, contre leurs mouvements. Après cela, aucune troupe d’hommes n’osa les affronter, si désespérée eût été l’entreprise. Même les équipages des torpilleurs et des cuirassés qui avaient remonté la Tamise avec leurs canons à tir rapide refusèrent de s’arrêter, se mutinèrent et regagnèrent la mer. La seule opération offensive que les hommes aient tentée cette nuit-là fut la préparation de mines et de fosses, avec une énergie frénétique et spasmodique.

Peut-on s’imaginer le sort de ces batteries d’Esher épiant anxieusement le crépuscule ? Aucun des hommes qui les servaient ne survécut. On se représente l’attente réglementaire, les officiers alertes et attentifs, les pièces prêtes, les munitions empilées à portée, les avant-trains attelés, les groupes de spectateurs civils observant les dispositions d’aussi près qu’il leur était permis, tout cela, dans la grande tranquillité du soir ; plus loin, les ambulances avec les blessés et les brûlés de Weybridge ; enfin la sourde détonation du tube des Marsiens, et le bizarre projectile tourbillonnant par-dessus les arbres et les maisons et s’écrasant au milieu des champs environnants.

On peut se représenter aussi le soudain redoublement d’attention, les volutes et les replis épais de ces ténèbres qui s’avançaient contre le sol, s’élevaient vers le ciel, et faisaient du crépuscule une obscurité palpable, cet étrange et terrible antagoniste enveloppant ses victimes ; les hommes et les chevaux à peine distincts, courant et fuyant, criant et hennissant, tombant à terre ; les hurlements de terreur ; les canons soudain abandonnés ; les hommes suffoquant et se tordant sur le sol, et la