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la guerre des mondes

L’homme qui échappa à la suffocation dans le premier de ces villages fit un étonnant récit de l’étrangeté de ces volutes et de ces replis ; il raconta comment, du haut du clocher de l’église, il vit les maisons du village ressurgir peu à peu hors de ce néant noirâtre ainsi que des fantômes. Il resta là pendant un jour et demi, épuisé, mourant de faim et de soif, écorché par le soleil, voyant à ses pieds la terre sous le ciel bleu, et contre le fond des collines lointaines, une étendue recouverte comme d’un velours noir, avec des toits rouges, des arbres verts, puis, plus tard, des haies et des buissons, des granges, des remises, des murs voilés de noir, se dressant ici et là dans le soleil.

Ceci se passait à Street Cobham, où la vapeur noire resta jusqu’à ce qu’elle fût absorbée d’elle-même dans le sol. Ordinairement, dès qu’elle avait rempli son objet, les Marsiens en débarrassaient l’atmosphère au moyen de jets de vapeur.

C’est ce qu’ils firent avec les couches qui s’étaient déroulées auprès de nous, comme nous pûmes le voir, à la lueur des étoiles, derrière les fenêtres d’une maison déserte d’Upper Halliford, où nous étions retournés. De là, aussi, nous apercevions les feux électriques Richmond Hill et de Kingston Hill fouillant la nuit en tous sens ; puis vers onze heures les vitres résonnèrent et nous entendîmes les détonations des grosses pièces de siège qu’on avait mises en batterie sur ces hauteurs. La canonnade continua par intervalles réguliers pendant l’espace d’un quart d’heure, envoyant au hasard des projectiles contre les Marsiens invisibles, à Hampton et à Ditton ; puis les rayons pâles des feux électriques s’évanouirent et furent remplacés par de vifs reflets rouges.