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eut passé à travers les rues le premier souffle de la tempête de peur qui venait.

Ce fut l’aube de la grande panique. Londres, qui s’était couché le dimanche soir stupide et inerte, était réveillé aux petites heures du lundi matin par la sensation ardente du danger.

Incapable d’apprendre de sa fenêtre ce qui était arrivé, mon frère descendit dans la rue, au moment où le ciel, entre les parapets des maisons, recevait les premières touches roses de l’aurore. Les gens qui fuyaient à pied ou en voiture devenaient à chaque instant de plus en plus nombreux.

— La fumée noire ! criaient incessamment ces gens ; la fumée noire !

La contagion d’une terreur aussi unanime était inévitable. Comme mon frère demeurait hésitant sur le seuil de la porte, il aperçut un autre crieur de journaux qui venait de son côté, et il acheta un numéro immédiatement. L’homme continua sa route avec le reste, vendant en courant ses journaux un shilling pièce — grotesque mélange de profit et de panique.

Dans ce journal, mon frère lut la dépêche du général commandant en chef, annonçant la catastrophe : « Les Marsiens se sont mis à décharger, au moyen de fusées, d’énormes nuages de vapeur noire et empoisonnée. Ils ont asphyxié nos batteries, détruit Richmond, Kingston et Wimbledon, et s’avancent lentement vers Londres, dévastant tout sur leur passage. Il est impossible de les arrêter. Il n’y a d’autre salut devant la Fumée Noire qu’une fuite immédiate. »

C’était tout, mais c’était assez. L’entière population d’une grande cité de six millions d’habitants se mettait en mouvement, s’échappait, s’enfuyait :