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la guerre des mondes

Vers huit heures, on put distinctement entendre dans tout le sud de Londres le bruit d’une sourde canonnade. Mon frère ne put l’entendre dans les voies principales à cause de la circulation et du trafic, mais, en coupant vers le fleuve par des rues écartées et tranquilles, il pouvait le distinguer très clairement.

Il revint à pied de Westminster jusque chez lui, près de Regent’s Park, vers deux heures. Il était maintenant plein d’anxiété à mon propos et bouleversé par l’importance évidente de la catastrophe. Son esprit, comme le mien l’avait été la veille, était porté à s’occuper des détails militaires. Il pensa à tous ces canons silencieux et prêts à faire feu ; à la contrée devenue soudain nomade ; il essaya de s’imaginer des chaudières sur des échasses de cent pieds de haut.

Deux ou trois voiturées de fugitifs passèrent dans Oxford Street, et plusieurs dans Marylebone Road ; mais la nouvelle se propageait si lentement que les trottoirs de Regent’s Street et de Portland Road étaient encombrés des habituels promeneurs du dimanche après-midi, bien qu’on parlât de l’affaire dans des groupes ; aux environs de Regent’s Park il y avait en promenade autant de couples silencieux que d’habitude. La soirée était chaude et tranquille, bien qu’un peu lourde ; le canon s’entendait encore par intervalles ; et après minuit le ciel fut éclairé vers le sud comme par des éclairs de chaleur.

Il lut et relut le journal, craignant qu’il ne me fût arrivé les pires choses. Il ne pouvait tenir en place et après souper il erra de nouveau par les rues, au hasard. Il rentra et essaya en vain de détourner le cours de ses idées en revoyant ses résu-