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mercvre de france—xii-1899

Marsiens ne pouvaient être que de formidables êtres humains qui attaqueraient et saccageraient le bourg, pour être immanquablement détruits à la fin. De temps à autre, des gens regardaient avec une certaine impatience par-delà la Wey, vers les prairies de Chertsey, mais tout, de ce côté, était tranquille.

Sur l’autre rive de la Tamise, excepté à l’endroit où les bateaux abordaient, il n’y avait de même aucun trouble, ce qui faisait un contraste violent avec la rive du Surrey. En débarquant, les gens partaient immédiatement par le petit chemin. L’énorme bac n’avait encore fait qu’un seul voyage. Trois ou quatre soldats, de la pelouse de l’auberge, regardaient ces fugitifs et les raillaient, sans songer à offrir leur aide. L’auberge était close, car on était maintenant aux heures prohibées.

— Qu’est-ce que c’est que tout cela ? s’exclamait un batelier.

Puis, plus près de moi :

— Tais-toi donc, sale bête ! criait un homme à un chien qui hurlait.

À ce moment, on entendit de nouveau, mais cette fois dans la direction de Chertsey, un son assourdi – la détonation d’un canon.

La lutte commençait. Presque immédiatement, d’invisibles batteries, cachées par des bouquets d’arbres sur l’autre rive du fleuve, à notre droite, firent chorus, crachant leurs obus régulièrement l’une après l’autre. Une femme s’évanouit. Tout le monde sursauta, avec, en suspens, le soudain émoi de la bataille, si proche et que nous ne pouvions voir encore. Le regard ne parcourait que des prairies unies, où des bœufs paissaient avec indifférence