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et j’arrivai à un espace plus large ; craquant une allumette, je vis que j’étais entré dans une vaste caverne arquée, qui s’étendait dans les profondes ténèbres au delà de la portée de la lueur de mon allumette. J’en vis autant que l’on peut en voir pendant le court instant où brûle une allumette.

« Nécessairement, ce que je me rappelle reste vague. De grandes formes comme d’énormes machines surgissaient des ténèbres et projetaient de fantastiques ombres noires, dans lesquelles les Morlocks, comme de ternes spectres, s’abritaient de la lumière. L’atmosphère, par parenthèse, était lourde et étouffante et de fades émanations de sang fraîchement répandu flottaient dans l’air. Un peu plus bas, vers le centre, était la perspective d’une petite table de métal blanchâtre, sur laquelle semblait être servi un repas. Les Morlocks en tous les cas étaient carnivores ! À ce moment-là même, je me rappelle m’être demandé quel grand animal pouvait avoir survécu pour fournir la grosse pièce saignante que je voyais. Tout cela était fort peu distinct : l’odeur suffocante, les grandes formes sans signification, les êtres immondes aux aguets dans l’ombre et n’attendant que le retour de l’obscurité pour revenir sur moi ! Alors l’allumette s’éteignit, me brûla les doigts et tomba, tache rouge rayant les ténèbres.

« J’ai pensé depuis combien j’étais particulièrement mal équipé pour une telle expérience. Quand je m’étais mis en route avec la Machine, j’étais parti avec l’absurde supposition que les humains de l’avenir devaient certainement être infiniment supérieurs à nous dans toutes leurs ressources. J’étais venu sans armes, sans remèdes, sans rien à