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donné le rivage. Je me figurai voir quelque objet voleter sur la grève, mais quand je l’observai, il resta immobile ; je crus que mes yeux avaient été déçus et que l’objet noir n’était que quelque fragment de roche. Les étoiles au ciel brillaient intensément et me paraissaient ne scintiller que fort peu.

« Tout à coup, je remarquai que le contour occidental du soleil avait changé, qu’une concavité, qu’une baie apparaissait dans sa courbe. Je la vis s’accentuer ; pendant une minute peut-être je considérai, frappé de stupeur, ces ténèbres qui absorbaient la pâle clarté du jour, et je compris alors qu’une éclipse commençait. La lune ou la planète Mercure passait devant le disque du soleil. Naturellement je crus d’abord que c’était la lune, mais j’ai bien des raisons de croire que ce que je vis était en réalité le passage de quelque planète intérieure très près de la terre.

« L’obscurité croissait rapidement. Un vent froid commença à souffler de l’Est par rafales fraîchissantes et le vol des flocons blancs s’épaissit. Du lointain de la mer s’approcha une ride légère et un murmure. Hors ces sons inanimés, le monde était plein de silence. Du silence ? Il est bien difficile d’exprimer ce calme qui pesait sur lui. Tous les bruits de l’humanité, le bêlement des troupeaux, les chants des oiseaux, le bourdonnement des insectes, toute l’agitation qui fait l’arrière-plan de nos vies, tout cela n’existait plus. Comme les ténèbres s’épaississaient, les flocons, tourbillonnant et dansant devant mes yeux, devinrent plus abondants et le froid de l’air devint plus intense. À la fin, un par un, les sommets