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pas une brise de vent ne remuait. Seule, une légère et huileuse ondulation s’élevait et s’abaissait, pour montrer que la mer éternelle s’agitait encore et vivait. Et sur le rivage, où l’eau parfois se brisait, était une épaisse incrustation de sel, rose sous le ciel livide. Je me sentis la tête oppressée, et je remarquai que je respirais très vite. Cette sensation me rappela mon unique expérience d’ascension dans les montagnes, et je jugeai par là que l’air devait s’être considérablement raréfié.

« Très loin, au haut de la pente désolée, j’entendis un cri discordant et je vis une chose semblable à un immense papillon blanc s’envoler, voltiger dans le ciel et, planant, disparaître enfin derrière quelques monticules peu élevés. Ce cri fut si lugubre que je frissonnai et m’installai plus solidement sur la selle. En portant de nouveau mes regards autour de moi, je vis que, tout près, ce que j’avais pris pour une masse rougeâtre de roche s’avançait lentement vers moi ; je vis alors que c’était en réalité une sorte de crabe monstrueux. Imaginez-vous un crabe aussi large que cette table là-bas, avec ses nombreux appendices, se mouvant lentement et en chancelant, brandissant ses énormes pinces et ses longues antennes comme des fouets de charretier, et ses yeux proéminents vous épiant de chaque côté de son front métallique. Sa carapace était rugueuse et ornée de bosses tumultueuses et des incrustations verdâtres la pustulaient ici et là. Je voyais, pendant qu’il avançait ; les nombreuses palpes de sa bouche compliquée s’agiter et sentir.

« Tandis que je considérais avec ébahissement cette sinistre apparition rampant vers moi, je