Page:Mercure de France - 1899 - Tome 29.djvu/125

Cette page a été validée par deux contributeurs.

moi. La forêt entière était pleine de leurs cris et de leur agitation. Une minute s’écoula. Leurs voix semblèrent s’élever à un haut diapason d’excitation, et leurs mouvements devinrent plus rapides. Pourtant aucun ne passa à portée de mes coups. Je restai là, cherchant à percer les ténèbres, quand tout à coup l’espoir me revint : quoi donc pouvait ainsi effrayer les Morlocks ? Et au même moment, je vis une chose étrange. Les ténèbres parurent devenir lumineuses. Vaguement, je commençai à distinguer les Morlocks autour de moi — trois d’entre eux abattus à mes pieds — et je remarquai alors, avec une surprise incrédule, que les autres s’enfuyaient en flots incessants, à travers la forêt, droit devant moi, et leurs dos n’étaient plus du tout blancs, mais rougeâtres. Tandis que, bouche béante, je les regardais passer, je vis dans une trouée de ciel étoilé, entre les branches, une petite étincelle rouge voltiger et disparaître. Et je compris alors l’odeur de bois qui brûle, le murmure étourdissant qui maintenant devenait un grondement, les reflets rougeâtres et la fuite des Morlocks.

« M’écartant un instant de mon tronc d’arbre, je regardai en arrière et je vis, entre les piliers noirs des arbres les plus proches, les flammes de la forêt en feu. C’était mon premier bivouac qui me rattrapait. Je cherchai Weena, mais elle n’était plus là. Derrière moi, les sifflements et les craquements, le bruit d’explosion de chaque tronc qui prenait feu, laissaient peu de temps pour réfléchir. Ma barre de fer bien en main, je courus sur les traces des Morlocks. Ce fut une course affolante. Une fois, les flammes s’avancèrent si rapidement sur