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par un certain nombre d’empreintes de pieds, menues et étroites. La sensation de la présence immédiate des Morlocks se ranima. J’eus conscience que je perdais un temps précieux à l’examen académique de toutes ces machines. Je me rappelai que l’après-midi était déjà très avancée, et que je n’avais encore ni arme, ni abri, ni aucun moyen de faire du feu. Puis, venant du fond obscur de la galerie, j’entendis les singuliers battements et les mêmes bruits bizarres que j’avais entendus au fond du puits.

« Je pris la main de Weena. Puis, frappé d’une idée soudaine, je la laissai et m’avançai vers une machine d’où s’élançait un levier assez semblable à ceux des postes d’aiguillage. Gravissant la plateforme, je saisis le levier et, de toutes mes forces, je le secouai en tous les sens. Soudain, Weena que j’avais laissée au milieu de la galerie se mit à gémir. J’avais conjecturé assez exactement la force de résistance du levier, car après une minute d’efforts il cassa net et je rejoignis Weena avec, dans ma main, une masse plus que suffisante, pensais-je, pour n’importe quel crâne de Morlock que je pourrais rencontrer. Et il me tardait grandement d’en tuer quelques-uns. Bien inhumaine, penserez-vous, cette envie de massacrer ses propres descendants. Mais il n’était en aucune façon possible de ressentir le moindre sentiment d’humanité à l’égard de ces êtres. Ma seule répugnance à quitter Weena, et la conviction que si je commençais à apaiser ma soif de meurtre, ma Machine pourrait en souffrir, furent les seules raisons qui me retinrent de descendre tout droit la galerie et d’aller massacrer les brutes que j’entendais.