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velle. Le ciel restait très clair, à part quelques rares nuages de brume légère. Je dus sans aucun doute m’assoupir à plusieurs reprises. Puis, comme ma veillée s’écoulait, une faible éclaircie monta vers l’est, comme la réflexion de quelque feu incolore, et la lune se leva, mince, effilée et blême. Immédiatement derrière elle, la rattrapant et l’inondant, l’aube vint, pâle d’abord, et puis bientôt rose et ardente. Aucun Morlock ne s’était approché. À vrai dire, je n’en avais vu aucun sur la colline cette nuit-là. Et, avec la confiance que ramenait le jour nouveau, il me sembla presque que mes craintes avaient été déraisonnables et absurdes. Je me levai, et m’aperçus que celui de mes pieds que chaussait la bottine endommagée était enflé à la cheville et très douloureux sous le talon. De sorte que je m’assis de nouveau, retirai mes chaussures et les lançai loin de moi, n’importe où.

« J’éveillai Weena, et nous nous mîmes en route vers la forêt, maintenant verte et agréable, au lieu d’obscure et effrayante. Nous trouvâmes quelques fruits avec lesquels nous rompîmes notre jeûne. Bientôt, nous rencontrâmes d’autres Eloïs, riant et dansant au soleil, comme s’il n’y avait pas dans la nature cette chose qui s’appelle la nuit. Alors je repensai à ce repas carnivore que j’avais vu. J’étais certain maintenant d’avoir deviné quel mets le composait, et, au fond de mon cœur, je m’apitoyai sur ce dernier et faible ruisseau du grand fleuve de l’humanité. Évidemment, à un certain moment du long passé de la décadence humaine, la nourriture des Morlocks était devenue rare. Peut-être s’étaient-ils nourris de rats et de vermine de cette sorte. Maintenant même, l’homme est beau-