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était toute nouvelle pour moi ; elle était plus resplendissante encore que notre Sirius vert. Et parmi tous ces points de lumière scintillante, une planète brillait vivement d’une clarté régulière et bienveillante, comme la figure d’un vieil ami.

« La contemplation de ces étoiles effaça soudain mes inquiétudes et toutes les gravités de la vie terrestre. Je songeai à leur incommensurable distance et au cours lent et inévitable de leur acheminement du passé inconnu vers le futur inconnu. Je pensai au grand cycle processionnel que décrit le pôle de la terre. Quarante fois seulement s’était produite cette silencieuse révolution pendant toutes les années que j’avais traversées. Et pendant ces quelques révolutions, toutes les activités, toutes les traditions, les organisations compliquées, les nations, langages, littératures, aspirations, même le simple souvenir de l’homme tel que je le connaissais, avaient été balayés du monde. À la place de tout cela, restaient ces êtres frêles qui avaient oublié leur haute origine, et les êtres livides qui m’épouvantaient. Je pensai alors à la grande peur qui séparait les deux espèces, et pour la première fois, avec un frisson subit, je compris clairement d’où devait provenir la nourriture animale que j’avais vue. Mais c’était trop horrible. Je contemplai la petite Weena dormant auprès de moi, sa figure blanche de la pâleur des étoiles, et, aussitôt, je chassai cette pensée.

« Pendant cette longue nuit, j’écartai de mon esprit, du mieux que je pus, la pensée des Morlocks et je fis passer le temps en essayant de me figurer que je pouvais trouver les traces des anciennes constellations dans leur confusion nou-