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que je boitais. Et ce ne fut que longtemps après le coucher du soleil que j’arrivai en vue du Palais dont la noire silhouette se dressait contre le jaune pâle du ciel.

« Weena avait éprouvé une joie extrême lorsque je commençai à la porter, mais après un certain temps elle désira marcher et courir à mes côtés, s’agenouillant parfois pour cueillir des fleurs dont elle garnissait mes poches. Weena avait toujours éprouvé à l’égard de mes poches un grand embarras, mais à la fin elle avait conclu qu’elles devaient être tout simplement quelque espèce bizarre de vases pour des décorations florales. Du moins, les utilisait-elle à cet effet. Et cela me rappelle… ! En changeant de jaquette j’ai trouvé… »

Notre ami s’arrêta, mit sa main dans sa poche et silencieusement plaça sur la petite table deux fleurs fanées, assez semblables à de très grandes mauves blanches ; puis il reprit son récit.

« Comme le calme du soir s’étendait sur le monde et que par delà la colline nous avancions vers Wimbledon, Weena se trouva fatiguée et voulut retourner à la maison de pierre grise. Mais je lui montrai dans la distance les toits du Palais de Porcelaine Verte, et réussis à lui faire comprendre que nous devions chercher là un refuge contre la crainte. Vous connaissez cette grande paix qui tombe sur les choses au moment où vient la nuit ? La brise même s’arrête dans les arbres. Il y a toujours pour moi dans cette tranquillité du soir comme un air d’expectation. Le ciel était clair, profond et vide, à part quelques barres horizontales à l’extrême horizon, vers le couchant. Ce soir-là, l’expectation prit la couleur de mes craintes. Dans