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les cinq nuits que dura notre liaison, y compris la dernière nuit de toutes, elle dormit avec sa tête posée sur mon bras. Mais, à vous parler d’elle, je m’écarte de mon récit. La nuit qui suivit son sauvetage, je m’éveillai avec l’aurore, j’avais été agité, rêvant fort désagréablement que je m’étais noyé, et que des anémones de mer me palpaient le visage avec leurs appendices mous. Je m’éveillai en sursaut, avec l’impression bizarre que quelque animal grisâtre venait de s’enfuir hors de la chambre, j’essayai de me rendormir, mais j’étais inquiet et mal à l’aise. C’était l’heure terne et grise où les choses surgissent des ténèbres, où les objets sont incolores et tout en profil, et cependant irréels. Je me levai, pénétrai dans le grand hall et m’arrêtai sur les dalles de pierre du perron du palais ; j’avais l’intention, faisant de nécessité vertu, de contempler le lever du soleil.

« La lune descendait à l’ouest ; sa clarté mourante et les premières pâleurs de l’aurore se mêlaient en demi-lueurs spectrales. Les buissons étaient d’un noir profond, le sol d’un gris sombre, le ciel terne et triste. Au flanc de la colline, je crûs apercevoir des fantômes. À trois reprises différentes, tandis que je scrutais la pente devant moi, je vis des formes blanches. Deux fois, je crus voir une créature blanche, solitaire, ayant l’aspect d’un singe, qui remontait la colline avec rapidité ; une fois, auprès des ruines, je vis trois de ces formes qui portaient un corps noirâtre. Elles faisaient grande-hâte et je ne pus voir ce qu’elles devinrent, il sembla qu’elles se fussent évanouies parmi les buissons. L’aube était encore indistincte, vous devez le comprendre, et j’avais cette sensation glaciale, incertaine, du petit mâtin, que vous connaissez peut-être. Je doutais de mes yeux.

« Le ciel s’éclaira vers l’est ; la lumière du jour