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« Au bout d’un instant je me levai et je me mis à marcher sans but à travers les fourrés et vers la colline. — Patience, me disais-je, si tu veux avoir ta Machine, il te faut laisser le sphinx tranquille. S’ils veulent la garder, il est inutile d’abîmer leurs panneaux de bronze, et s’ils ne veulent pas la garder, ils te la rendront aussitôt que tu pourras la leur réclamer. S’acharner parmi toutes ces choses inconnues à une énigme comme celle-là, est désespérant. C’est le chemin de la monomanie. Affronte ce monde nouveau. Apprends ses mœurs, observe-le, abstiens-toi de conclusion hâtive quant à ses intentions. À la fin tu trouveras le fil de tout cela. — Alors je m’aperçus tout à coup du comique de la situation : la pensée des années que j’avais employées en études et en labeurs pour parvenir aux âges futurs et maintenant l’ardente angoisse d’en sortir. Je m’étais fabriqué le traquenard le plus compliqué et le plus désespérant qu’un homme eût jamais imaginé. Bien que ce fût à mes propres dépens, je ne pouvais m’en empêcher : je riais aux éclats.

« Comme je traversais le grand palais, il me sembla que les petits êtres m’évitaient. Ce pouvait être simple imagination, ou être dû à mes coups de pierre dans les portes de bronze. Quoi qu’il en soit, j’étais à peu près sûr qu’ils me fuyaient. Je pris soin néanmoins de n’en laisser rien paraître, et de m’abstenir de les poursuivre ; au bout de deux ou trois jours les choses se remirent sur le même pied. Je fis tous les progrès que je pus dans le langage et de plus je poussai des explorations ici et là. À moins que je n’eusse pas aperçu quelque point subtil, leur langue était excessivement simple — presque exclusivement composée de substantifs concrets et de verbes. Il ne paraissait pas y avoir beaucoup — au cas où il y en eût — de termes abstraits, et ils employaient