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sérablement, car même ma colère d’avoir eu la folie d’abandonner la Machine était partie avec mes forces. Il ne me restait rien que ma misère. Puis je m’endormis ; lorsque je m’éveillai, il faisait jour et un couple de moineaux sautillait autour de moi sur le gazon, à portée de ma main.

« Je m’assis, essayant, dans la fraîcheur du matin, de me rappeler comment j’étais venu là et pourquoi j’avais une pareille sensation d’abandon et de désespoir. Alors les choses me revinrent claires à l’esprit. Avec la lumière distincte et raisonnable, je pouvais nettement envisager ma situation. Je compris la folle stupidité de ma frénésie de la veille et je pus raisonner avec moi-même.

« Supposons le pire ? disais-je. Supposons la Machine définitivement perdue — détruite peut-être ? Il m’est nécessaire d’être calme et patient ; d’apprendre les manières d’être de ces gens ; d’acquérir une idée nette de la façon dont ma perte s’est faite, et, les moyens d’obtenir des matériaux et des outils, de façon à pouvoir peut-être, à la fin, faire une autre machine. Ce devait être là ma seule espérance, une pauvre espérance, sans doute, mais meilleure que le désespoir. Et après tout, c’était un monde curieux et splendide.

« Mais probablement la Machine n’avait été que soustraite. Encore fallait-il être calme et patient, trouver où elle avait été cachée, et la ravoir par ruse ou par force. Je me mis péniblement sur mes pieds et regardai tout autour de moi, me demandant où je pourrais procéder à ma toilette. Je me sentais fatigué, roide, et sali par le voyage. La fraîcheur du matin me fit désirer une fraîcheur égale. J’avais épuisé mon émotion. À vrai dire, en cherchant ce qu’il me fallait, je fus surpris de mon excitation de la veille. J’examinai soigneusement le sol de la petite pelouse. Je perdis du temps en questions futiles, faites du mieux que je pus à ceux des