Page:Mercure de France - 1898 - Tome 28.djvu/628

Cette page a été validée par deux contributeurs.

m’arrêtai brusquement, de mes mains m’étreignant la tête. Au-dessus de moi, sur son piédestal de bronze dominait le sphinx, blanc, lépreux, luisant aux clartés de la lune qui montait. Il paraissait sourire et se railler de ma consternation.

« J’aurais pu me consoler en imaginant que les petits êtres avaient rangé la Machine sous quelque abri, si je n’avais pas été convaincu de leur imperfection physique et intellectuelle. C’est là ce qui me consternait : le sens de quelque pouvoir jusque-là insoupçonné, par l’intervention duquel mon invention avait disparu. Cependant, j’étais certain d’une chose : à moins que quelque autre époque ait produit son exact duplicata, la Machine ne pouvait s’être mue dans le temps. Les attaches des leviers empêchant, quand ceux-ci sont enlevés — je vous en montrerai tout à l’heure la méthode — que quelqu’un expérimente d’une façon quelconque la marche de la Machine. On l’avait emportée et cachée seulement dans l’espace. Mais alors où pouvait-elle bien être ?

« Je crois que je dus être pris de quelque accès de frénésie ; je me rappelle avoir exploré à la clarté de la lune, en une précipitation violente, tous les buissons qui entouraient le sphinx et avoir effrayé une espèce d’animal blanc, que, dans la clarté confuse, je pris pour un petit daim. Je me rappelle aussi, tard dans la nuit, avoir battu les fourrés avec mes poings fermés jusqu’à ce que, à force de casser les menues branches, mes jointures fussent tailladées et sanglantes. Puis sanglotant et délirant dans mon angoisse d’esprit, je descendis jusqu’au grand bâtiment de pierre. La grande salle était obscure, silencieuse et déserte, je glissai sur le sol inégal et tombai sur l’une des tables de malachite, me brisant presque le tibia, allumai une allumette et pénétrai au delà des