Page:Mercure de France - 1898 - Tome 28.djvu/618

Cette page a été validée par deux contributeurs.

toute affectation encore qu’elle ne fût guère civile. Cependant, je me faisais l’effet d’un maître d’école au milieu de jeunes enfants et je persistai si bien que je me trouvai bientôt en possession d’une vingtaine de mots au moins ; puis j’en arrivai aux pronoms démonstratifs et même au verbe manger. Mais ce fut long ; les petits êtres furent bientôt fatigués et éprouvèrent le besoin de fuir mes interrogations ; de sorte que je résolus, par nécessité, de prendre mes leçons par petites doses quand cela leur conviendrait. Je m’aperçus vite que ce serait par très petites doses ; car je n’ai jamais vu de gens plus indolents et plus facilement fatigués.


VI

LE CRÉPUSCULE DE L’HUMANITÉ


« Bientôt je fis l’étrange découverte que mes petits hôtes ne s’intéressaient réellement à rien. Comme des enfants, ils s’approchaient de moi pleins d’empressement, avec des cris de surprise, mais, comme des enfants aussi, ils cessaient bien vite de m’examiner et s’éloignaient en quête de quelque autre bagatelle. Après le dîner et mes essais de conversation, je remarquai pour la première fois que tous ceux qui m’avaient entouré à mon arrivée étaient partis ; et c’est de même étrange combien rapidement j’arrivai à faire peu de cas de ces petits personnages. Ma faim et ma curiosité étant satisfaites, je retournai en franchissant le porche, dehors à la clarté du soleil. Sans cesse je rencontrais de nouveaux groupes de ces humains de l’avenir, et ils me suivaient à quelque distance, bavardaient et riaient à mon sujet, puis après m’avoir souri et fait quelques signes amicaux, ils m’abandonnaient à mes réflexions.

« Quand je sortis du vaste édifice, le calme du soir descendait sur le monde et la scène n’était