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Sphinx blanc, je voyais les têtes et les épaules d’hommes qui couraient. L’un d’eux déboucha d’un sentier qui menait droit à la petite pelouse sur laquelle je me trouvais avec ma machine. C’était une délicate créature — haute environ de quatre pieds — vêtue d’une tunique de pourpre retenue à la taille par une ceinture de cuir. Des sandales ou des brodequins — je ne pus voir distinctement — recouvraient ses pieds ; ses jambes étaient nues depuis les genoux et elle ne portait aucune coiffure. En faisant ces remarques, je m’aperçus pour la première fois de la douceur extrême de l’air.

« Je fus frappé par l’aspect de cette créature très belle et gracieuse, mais étonnamment frêle. Ses joues rosées me rappelaient ces beaux visages de phtisiques — cette beauté hectique dont on nous a tant parlé. À sa vue, je repris soudainement confiance, et mes mains abandonnèrent la machine.


V

DANS L’ÂGE D’OR


« En un instant nous étions face à face, cet être fragile et moi. Il s’avança sans hésiter et se mit à me rire au nez. L’absence de tout signe de crainte dans sa contenance me frappa tout à coup. Puis il se tourna vers les deux autres qui le suivaient et leur parla dans une langue étrange, harmonieuse et très douce.

« D’autres encore arrivèrent et j’eus bientôt autour de moi un groupe d’environ huit à dix de ces êtres exquis. L’un d’entre eux m’adressa la parole. Il me vint à l’esprit, assez bizarrement, que ma voix était trop rude et trop profonde pour eux. Aussi, je hochai la tête, et lui montrant mes oreilles, je la hochai de nouveau. Il fit un pas en