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dans l’Inconnu. Cette possibilité s’était bien souvent présentée à mon esprit pendant que je faisais la machine ; mais alors j’avais de bon cœur envisagé cette conjoncture comme un risque inévitable — un de ces risques qu’un homme doit toujours accepter. Maintenant qu’il était inévitable, je ne le voyais plus du tout sous le même jour d’indifférence. Le fait est que, insensiblement, l’absolue étrangeté de toute chose, le balancement ou l’ébranlement écœurant de la machine, par-dessus tout la sensation de chute prolongée, avaient absolument bouleversé mes nerfs. Je me disais que je ne pouvais plus m’arrêter et, dans un accès d’agacement, je résolus de m’arrêter sur le champ. Avec une impatience d’insensé, je tirai sur le levier et aussitôt la machine se mit à ballotter et je fus projeté follement dans l’air.

« Il y eut un bruit de tonnerre dans mes oreilles ; je dus rester étourdi un moment. Une grêle impitoyable sifflait autour de moi, et je me trouvai assis, sur un sol mou, devant la machine renversée. Toutes choses me paraissaient encore grises, mais je remarquai bientôt que le bruit confus dans mes oreilles s’était tu. Je regardai autour de moi. J’étais sur ce qui pouvait sembler une petite pelouse, dans un jardin, entouré de massifs de rhododendrons dont les pétales mauves et pourpres tombaient en pluie sous les volées de grêlons. La grêle dansante et rebondissante s’abattait sur la machine et descendait sur le sol comme une fumée. En un instant je fus trempé jusqu’aux os : — Excellente hospitalité, dis-je, envers un homme qui vient de parcourir d’innombrables années pour vous voir.

« Enfin je songeai qu’il était stupide de se laisser tremper ; je me levai et je cherchai des yeux où me réfugier. Une figure colossale, taillée apparemment dans quelque pierre blanche apparais-