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m’est arrivé, si vous y tenez, mais il faudra vous abstenir de m’interrompre. J’ai besoin de la raconter absolument. La plus grande partie vous semblera pure invention ; soit ! Mais tout en est vrai jusqu’au moindre mot, quoi qu’il en soit. J’étais dans mon laboratoire à quatre heures et depuis lors… j’ai vécu huit jours… des jours tels qu’aucun être humain n’en a vécu auparavant ! Je suis presque épuisé, mais je ne veux pas dormir avant de vous avoir conté la chose d’un bout à l’autre. Après cela, j’irai me reposer. Mais pas d’interruption ! Est-ce convenu ?

— Convenu ! dit le Rédacteur en chef, et tous nous répétâmes : Convenu !

Alors, l’Explorateur du Temps raconta son histoire telle que je la transcris plus loin. Il s’enfonça d’abord dans son fauteuil, et parla du ton d’un homme fatigué ; peu à peu il s’anima. En l’écrivant je ne sens que trop vivement l’insuffisance de la plume et du papier et surtout ma propre insuffisance pour l’exprimer avec toute sa valeur. Vous lirez, sans doute, avec attention ; mais vous ne pourrez voir, dans le cercle brillant de la petite lampe la face pâle et franche du conteur, et vous n’entendrez pas les inflexions de sa voix. Vous ne saurez pas combien son expression suivait les phases de son récit ! La plupart d’entre nous, qui écoutions, étions dans l’ombre, car les bougies des candélabres du fumoir n’avaient pas été allumées et seules la face du Journaliste et les jambes de l’Homme silencieux étaient éclairées. D’abord nous nous regardions les uns les autres, de temps en temps. Puis au bout d’un moment, nous cessâmes de le faire pour rester les regards fixés sur le visage de l’Explorateur du Temps.