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MERCVRE DE FRANCE

naires, étant de fait que Shakespeare, Michel Ange ou Léonard de Vinci sont un peu amples et d’un diamètre un peu rude à parcourir, parce que, génie et entendement ou même talent n’étant point d’une nature, il est impossible à la plupart.

S’il y a dans tout l’univers cinq cents personnes qui soient un peu Shakespeare et Léonard par rapport à l’infinie médiocrité, n’est-il pas juste d’accorder à ces cinq cents bons esprits ce qu’on prodigue aux auditeurs de M. Donnay, le repos de ne pas voit sur la scène ce qu’ils ne comprennent pas, le plaisir actif de créer aussi un peu à mesure et de prévoir ?

Ce qui suit est un index de quelques objets notoirement horribles et incompréhensibles pour ces cinq cents esprits et qui encombrent la scène sans utilité, en premier rang le décor et les acteurs.


Le décor est hybride, ni naturel ni artificiel. S’il était semblable à la nature, ce serait un duplicata superflu. On parlera plus loin de la nature décor. Il n’est pas artificiel en ce sens qu’il ne donne pas à l’artiste la réalisation de l’extérieur vu à travers soi ou mieux créé par soi.

Or il serait très dangereux que le poète à un public d’artistes imposit le décor tel qu’il le peindrait lui-même. Dans une œuvre écrite, qui sait lire y voit le sens caché exprès pour lui, reconnaît le fleuve éternel et invisible et l’appelle Anna Peranna. La toile peinte réalise un aspect dédoublable pour très peu d’esprits, étant plus ardu d’extraire la qualité d’une qualité que la qualité d’une quantité. Et il est juste que chaque spectateur voie la scène dans le décor qui convient à sa vision de la scène. Devant un grand public, différemment, n’importe quel décor artiste est bon, la foule comprenant non de soi, mais d’autorité.

Il y a deux sortes de décors, intérieurs et sous le ciel. Toutes deux ont la prétention de représenter des salles ou des champs naturels. Nous ne revien-