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SEPTEMBRE 1896

DE L’INUTILITÉ
DU THÉÂTRE AU THÉÂTRE


Je crois que la question est définitivement tranchée de savoir si le théâtre doit s’adapter à la foule ou la foule au théâtre. Laquelle, antiquement, n’a pu comprendre ou faire semblant de comprendre les tragiques et comiques que parce que leurs fables étaient universelles et réexpliquées quatre fois en un drame, et le plus souvent préparées par un personnage prologal. Comme aujourd’hui elle va à la Comédie-Française entendre Molière et Racine parce qu’ils sont joués d’une façon continue. Il est d’ailleurs assuré que leur substance lui échappe. La liberté n’étant pas encore acquise au théâtre de violemment expulser celui qui ne comprend pas, et d’évacuer la salle à chaque entr’acte avant le bris et les cris, on peut se contenter de cette vérité démontrée qu’on se battra (si l’on se bat) dans la salle pour une œuvre de vulgarisation, donc point originale et par cela antérieurement à l’originale accessible, et que celle-ci bénéficiera au moins le premier jour d’un public resté stupide, muet par conséquent.

Et le premier jour ceux là viennent, qui savent comprendre.

Il y a deux choses qu’il siérait — si l’on voulait descendre jusqu’au public — de lui donner, et qu’on lui donne : des personnages qui pensent comme lui (un ambassadeur siamois ou chinois, entendant l’Avare, gagea que l’avare serait trompé et la cassette prise) et dont il comprenne tout avec cette impression : « Suis-je spirituel de rire de ces mots spirituels », qui ne manque aux auditeurs de M. Donnay, et l’impression de la création, supprimant la fatigue de prévoir ; et en second lieu, des sujets et péripéties naturelles, c’est-à-dire quotidiennement coutumières aux hommes ordi-