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s jeunes mariés, — tous remplissent leur charge, et ils peuvent le faire ; car la cohésion est pareille à celle des algues marines. Il ne manque à cet État qu’une société de chant —

Guldstad

. — Et un journal !

Falk

. — Bien ! vous aurez le journal ! C’est une

bonne idée ; nous avons bien des journeaux pour les enfants et les dames, pour les croyants et les chasseurs. J’espère que personne ne s’inquiètera du prix. Vous y verrez, pompeusement annoncée, chaque union, contractée par Pierre ou Paul ; on y inserera toutes les lettres de couleur rose que Guillaume écrit à sa tendre Laure ; on y imprimera parmi les événements malheureux, — comme ailleurs les meurtres et les incendies de crinolines, — toutes les ruptures qui ont eu lieu dans le cours de la semaine ; on indiquera, sous une rubrique commerciale, où les anneaux en usage s’achètent à meilleur marché ; on annoncera les jumeaux et les trijumeaux, — et quand il y aura consécration, on invitera à son de trompettes la corporation entière à assister à la représentation ; — et quand il s’agira d’un refus, on le mettra dans le journal avec les autres nouvelles ; cela sonnera à peu près ainsi : « Le démon de l’amour a encore exigé un sacrifice ». Oui, vous verrez, cela va ; car pour faire mordre les abonnés, j’userai d’un appât qui fera bien ; — j’exécuterai, à la manière des grands journaux, un célibataire. Oui, vous me verrez lutter hautement pour le bien de la corporation ; comme un tigre, oui, comme un rédacteur poursuivant ma victime —

Guldstad

. — Et le titre du journal ?

Falk

. — « La gazette tutélaire des amours norvégiennes ! »

Styver

(se rapproche). — Tu ne parles pas sérieusement ?

Tu ne vas pas compromettre ton bon renom ?

Falk

. — Très sérieusement. On a affirmé parfois que

personne ne peut vivre de l’amour ; je montrerai que l’affirmation n’est pas juste ; car j’en vivrai en grand seigneur, surtout si Mlle Skære, comme je l’espère, veut bien donner le « roman de la vie » de M. Straamand, pour le verser goutte à goutte en feuilleton.

Straamand (effrayé). — Dieu me protège ! Quel projet est-ce là ? Le roman de ma vie ? Quand donc ma vie a-t-elle été romanesque ?

Mlle Skære

. — Je n’ai jamais dit cela !

Styver

. — Un malentendu !