Page:Mercure de France - 1896 - Tome 17.djvu/371

Cette page n’a pas encore été corrigée

rent, qui rêvent au loin, — si loin, — avec une guimpe autour des reins, une floraison de tulipes dorées dans les mains, — c’est pour elles que vous avez recueilli les premiers bourgeons ; vous ne vous êtes pas souciés de ce que l’on pourrait récolter ensuite. Voyez, c’est pour cela qu’il nous arrive mêlé de gravier et de feuilles mortes, — un regain, qui est à ceux-là ce que le chanvre est à la soie, — une moisson, que l’on cueille de l’arbre en le secouant.

Guldstad

. — C’est le thé noir.

Falk

(avec un signe de tête). — Il remplit le marché.

Un monsieur. — Holberg parle aussi d’un thé de bœuf —

Mlle Skære

(pincée). — Il est tout à fait inconnu aux

palais d’aujourd’hui.

Falk

. — Il y a aussi un amour de bœuf ; il assomme

son homme, — dans les romans, et peut se trouver aussi parfois dans l’armée des pantoufles, sous le drapeau du mariage. Bref, il y a ressemblance, jusque dans les moindres détails. Je rappelle encore quelque chose de bien connu, que le thé souffre et perd quelque chose de son arôme, lorsqu’il nous vient par la mer. Il faut qu’il traverse le désert, à dos, — qu’il réponde à la douane aux Russes et aux cosaques ; — estampillé par eux, il peut aller plus loin et passe chez nous, pour bonne marchandise. Mais l’amour ne suit-il pas le même chemin ? À travers le désert de la vie ? Quelles seraient les conséquences, quels cris, quel jugement du monde, si vous, si moi, portions hardiment notre amour sur les vagues de la liberté ! Mon Dieu, il a perdu le condiment de la morale ! Son odeur de légalité s’est dissipée !

Straamand (se lève). — Oui, Dieu merci — dans des pays moraux, de pareilles marchandises sont encore de contrebande !

Falk

. — Oui, pour circuler librement dans ce pays,

il faut qu’il ait traversé la Sibérie des règles, où aucun air de mer ne pourra l’endommager ; — il faut qu’il montre le sceau, noir sur blanc, du marguillier, de l’organiste et du sonneur, de la famille et des amis, des connaissances et de tous les diables, et de beaucoup d’autres braves gens, sans compter la permission qu’il obtient de Dieu même. — Et enfin, le dernier grand point de ressemblance : voyez comment la main de la civilisation s’est posée lourdement sûr le « céleste empire » dans l’orient lointain ; son mur tombe