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SEPTEMBRE 1894

m’explique point par comparaison — ce qui irait plus vite — c’est que je ne fais point à ceux qui feuillettent ces notes le tort de croire qu’il leur faut prêter courte échelle… — Et plutôt que toute dissertation sur Filiger remirons-nous en l’ivoire des faces et des corps de sa Sainte-Famille, reproduite au Cœur, et dont je n’ai point parlé, car c’eût été très inutile.

Alfred Jarry.

SALON DES SÉCESSIONNISTES À MUNICH

JUIN-OCTOBRE

M. Stuck a emprunté l’idée de son tableau La Guerre à Arnold Bœcklin dans l’Aventurier. N’était ce plagiat, j’admirerais franchement la composition symbolique, largement, puissamment traitée, où s’harmonise la brutalité des tons. — Sur un massif étalon noir un homme nu ; le plat de son épée sanglante pèse sur l’épaule droite ; sa tête est ceinte de lauriers, un rictus effrayant contracte sa bouche. Le cheval, quelle indicible sensation d’écrasement ! se fraye un passage à travers une plaine chaotique de cadavres d’où s’irradie, dirait-on, une lueur de lune morte. Dans les fonds, un incendie flamboye.

La Descente de Croix d’Arnold Bœcklin : chef-d’œuvre, pourquoi pas ? Un ciel de plomb, sinistre. Jésus mort repose sur l’herbe, le haut du corps soutenu par Joseph d’Arimathie ; la Vierge[1], stupide de douleur, s’est pris le visage dans les mains et regarde son fils ; la tête du Mauvais Larron, du haut de la croix, semble un soleil noir. Des cyprès sont calmes sur la colline. — M. Bœcklin a retrouvé la couleur des vieux maîtres ; dans un livre qui doit paraître après sa mort, il nous dira son secret. Aussi, quelle somptuo-

  1. En vérité, la Vierge ne fut pas présente à la Descente de Croix, mais la mère de Jacques. Bœcklin me semble plutôt avoir pensé à la Vierge.