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MERCURE DE FRANCE

reste statue, âme sans mouvements animaux, toile ou liège où l’artiste pique et collectionne le vol arrêté d’une des faces du phare tournant. C’est pourquoi : « Ne faites jamais ni pleurer ni rire vos figures », disait Filiger devant les Sirènes chantantes (d’un art différent, valable aussi) d’Eric Forbes-Robertson. Cette attention donnée, tous les hommes seraient beaux et quelques femmes.

L’animal, chrétiennement laid (il n’a pas notre âme), s’élève jusqu’à l’homme quand il l’accompagne emblématique. L’emblématique est faculté. Un lion et saint Marc. Écartons les bêtes des évangélistes : la tête auritée du cabri de la Sainte en prière. — Les fleurs sont toujours inanimées, harmonieuses et emblématiques….. les plus « communes» plantes. — Quelle splendeur de plafond décorante que les pétales de scarabée d’un chou, rose métallique, infinis concentres, filigrane de reliquaire de cuivre… peinture de moine avec des couleurs venues en écailles de pays étranges, étendues respectueusement aux sarcophages — comme la mort colle les yeux qu’on ferme — d’éternité pour l’éternité.

Toute théorie étant fausse parce que théorie, n’en exposons pas — ou plus — de l’art de Filiger. Disant que tout est beau dans la nature, il oublie que tout est beau pour quelques-uns seuls qui savent voir ; et que chacun du moins élit un beau spécial, le plus proche de soi ; et en cette nature de Pont-Aven et du Pouldu le va distiller comme un cheval d’Espagne en l’entonnoir d’un lys au pollen de fourmilion. Ainsi : Seguin les paysannes de Trégunc, les silhouettes de danseurs de gavotte et joueurs de biniou, les hauts arbres fusées et lombrics de la route de Clohars ; — O’Conor les modèles suggérés, à l’heure de la sieste, par les passants locaux de la place triangulaire, dédain un peu du choix, par croyance que le peintre, hors du temps, n’a que faire du lieu et de l’espace ; — Filiger les Bretons résignés, ovale presque losange, encadrés aux portes de verdure des fermes et des noces, faits pour le supplice dont ils ne bougeront pas, qui donc ne fanera pas ces lépidoptères (je les trouverais bien plus beaux crucifiés — et qui sait ? ils portent tous tout le crucifiement au cœur de leur face immortellement immobile). Il est vrai (très) que l’éternel est recélé en chaque particulier, que chaque particulier est l’éternel avec quelque épiderme de masque, et