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AVRIL 1892

FRANÇOIS VILLON
Poète Argotique.


Enfin nous avons la clef de ce jargon jobelin qui occupa inutilement plusieurs étudits ingénieux et dernièrement M. Vitu l’interprétation que vient de donner M. Pierre d’Alheim est littéralement suffisanté[1]. L’argot ancien, étude aussi ardue, presque, que le déchiffrement, jadis, d’un texte hiéroglyphique ou cunéiforme ! Chez les sauvages, les grands-pères et les petits-fils ne se comprennent plus ; en une génération la langue a changé. Ainsi de toute langue non écrite : une partie des mots flue ; une autre se déforme ; une partie, seulement traîne quelques années avant de disparaître définitivement. Pour l’argot, il y a encore la nécessité où sont les adeptes de dépister les curiosités, et aux modifications physiologiques s’adjoignent les modifications volontaires. On conçoit donc que l’argot moderne, lui-même si fugitif, ne puisse être d’aucun secours pour la traduction de textes argotiques du xve siècle ; la langue littéraire s’est diversifiée depuis ce temps, au point d’être méconnaissable ; la langue parlée, sans doute davantage encore ; de la langue argotique que parlèrent Villon et ses compagnons, c’est à peine s’il subsiste quelques traces, quelques tropes que la langue ordinaire s’assimila, ou dont les prisons, institutions conservatoires, transmirent l’usage. Lors du procès des compagnons de la Coquille, en 1455, le faux frère Perrenet-le-Fournier déposa que l’argot des Coquillards n’avait que peu de rapports avec le jargon ancien qu’il avait appris dans sa jeunesse.

Les mots de la langue des voleurs du xve siècle qui se sont perpétués jusqu’à nos jours sont en très petit nombre ; on peut noter les suivants :

Coffre, coffrer. Les mêmes en argot moderne.
Artis (pain, argent). Argot moderne : Artiffe (pain) et Artiche (porte-monnaie).
Enterver (comprendre). Arg. mod. : Entraver.
  1. Pierre d’Alheim : Le Jargon Jobelin de Maistre François Villon. — I. Les Ballades originales, texte, traduction, glossaire. — II. Les Ballades apocryphes : M. A. Vitu et l’Académie française. — Paris, Savine, 1892, in-18.