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FÉVRIER 1891

BRACONNAGE

A Paul Margueritte

Le père Birette, assis au coin de la cheminée haute, d’un geste bref commanda l’attention à son fils, immobile comme lui près du foyer, et il tendit l’oreille les paupières battantes, tirant par plus grosses bouffées la fumée de son noir brûle-gueule. Les pas se rapprochaient dans la rue paisible, des pas réguliers d’homme habitué à la marche, chaussé de souliers à clous qui crissaient, sur les pierres : le rujal ? le garde-champêtre ? un compagnon sur le triqiar ? Quelqu’un enfin rasa la maison et son ombre-glissa dans le chiffon de mousseline pendu devant la fenêtre. Le vieux proféra, braquant sur Firmin ses petits yeux gris de paysan madré : C’est-il pas le Chaouin, que voila ?Firmin, trapu, carré d’épaules, quitta son tabouret dépaillé èn grattant sa tignasse queue-de-bœuf et traversant d’un pied lourd qui s’empressait la pièce au sol de terre battue, colla aux vitres sa face ronde salie de taches rousses et du poil follet de ses vingt ans. Mais l’homme était trop loin déjà pour qu’il le vît ainsi ; il entrouvrit la fenêtre, et prudemment se risqua. Il répondit : si-da, c’est l' Chaouin.Il vint se rasseoir. Le père frottait de sa main aduste la barbe en brosse de son menton il réfléchissait, irrésolu, les sourcils joints et l’œil dans l’être, où descendait, léchée par les flammes d’une bourrée, la crémaillère moutonnante de suie. Et dans le silence crépitaient les brindilles éclatant au feu, tandis que le long balancier de l’horloge, accotée à la vieille armoire et semblant un cercueil dressé, rythmait un lent déclic. Birette cessa de frotter sa barbe, et, ôtant la pipe de ses lèvres, ordonna :

— Vois donc voir ed qu’eu côté qu’i va, l' Chaouin.puis, ayant craché dans le feu et après s’être essuyé avec sa manche en regardant l’horloge, qui marquait midi vingt-cinq, il ajouta : pourrions peut-etre allefaire une tournée là-bas.