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MERCVRE DE FRANCE


HORIZONS IRRÉELS Au loin, s’étendent, indicibles, des contrées.Ou le frimas du globe n’atteignit jamais .Les transparentes fleurs y font des mers moirées,Les libellules d’or d’invraisemblables mais Sur l’aile des soupirs, les blêmes lassitudes Y vont abondamment puiser aux sources l’air Qui les fraîchit de nos arides latitudes, Exquis, léger, subtil, ténu, suave, clair.La nuit, le jour, à l’heure où le croissant s’argente,L’orgie émue et rare des léthés y-fuit ; La vie a clos sa course fixement changeante, Vacille, hésite, fond et disparaît sans bruit.Les femmes y sont belles, pures, diaphanes, Mêlant à leurs baisers les doux épanchements ; Leurs chevelures sont de flaves filigranes,Leurs rires sont des royautés de diamants.Mystique, la chanson susurre au gré des brises ;Le rose éclat des lèvres la recueille, et mord D’amour les blancs linceuls des blanches tailles prises,Ignare si c’est là le rêve ou bien la mort, longues, nostalgiques et puissantes larmes Emergent aux accents des harpes et des voix ; Luisants, les coups d’archet évoquent mille charmes, Qui disent, éplorés, des mythes d’autrefois. O temps ô siècle ! ô chair ! matière souffreteuse L’hymen est disparu des âmes et des corps : Et la sereine ivresse d’être vient, quêteuse,Flâner aux horizons des irréels décors.Louis Dumur.