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fevrier 1891

Ah ! tu la connais bien, Sphinx avide et moqueur. Cette folle aux yeux d’or qu’à vingt ans l’on épouse la gloire ? femme aussi, Lève-toi donc jalouse. Debout et plante-nous ta frénésie au cœur. Rampe au long des buissons, darde tes yeux de flamme. Un regard, et déjà notre élan est tombé ; Un sourire, et l’alcool de nos sens a flambé ,Un baiser et tés dents ont mordu dans notre âme !les voilà maintenant les sublimes, les fous,Tous ceux qui s’en allaient aux fêtes inconnues, Archanges déplumés, précipités des nues,Oh! comme les voilà rampants à tes genoux ! Tout leur cœur altéré râle vers ta peau rose L’âme saigne le sang pur de la trahison. Là-bas, les derniers feux meurent à l’horizon Et voici s’effondrer la grande apothéose . Toi cependant, trônant aux ténèbres du lit,Tu berces leur vieux rêve éteint dans ta chair sourde Et dérobes le monde à leur paupière lourde Avec tes longs cheveux de langueur et d’oubli Ta chair est leur soleil, tes pieds nus sont leur gloire et ton sein tiède est une mer aux vagues d’or,Où leur cœur épuisé dé paresses s’endort Sous tes yeux où s’allume une sombre victoire...Ils sont tiens maintenant ; c est à jamais leur sort De se damner au ciel sanglotant de ta bouche . Et, souriant du haut de ton orgueil farouche, Tu refermes sur eux enfin douce à leur mort Tes bras, tes bras profonds et doux comme la Mort. Albert Samaim.