Page:Mercure de France - 1891 - Tome 2.djvu/60

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
59
JANVIER 1893

bit de rigueur, comme un drapeau. Il torture sauvagement, au moyen d’ingénieux suppliées, cette maîtresse qui s’impose. Elle a promis de s’en aller, après la naissance de son enfant. Tiendra-t-elle sa parole ? N'abusera-t-elle pas des circonstances pour se lier à son amant plus étroitement encore ? Dans une scène d’une violence un peu mélodramatique, il blesse la mère et cause la mort de l'enfant. Alors il lui semble qu’il a « assez, trop même » prouvé combien il sait défendre l’indépendance de sa vie, et qu’il doit à Adeline une généreuse compensation. Il lui offre son nom. Elle refuse et part. D’abord étonné qu’elle n’ait pas compris la délicatesse de son intention, il est tout près de l’accuser d'ingratitude. Volontiers, il dirait d’elle : « Peut-on être personnel à ce point ! » et, c’est là l’imprévu, il s’aperçoit qu’il aime éperdument sa victime. La manière furieuse dont il la détestait fait pressentir quel sera son amour. Et je crois qu’au lieu de suivre Léon Dussol dans sa brusque évolution, dans ses courses folles en compagnie d’une Américaine conventionnelle, jusqu’à sa confrontation romanesque avec cette Adeline qu’il a faite martyre et qui s’en trouve tout heureuse, le lecteur gagnerait à relire cette première partie du livre de M. Guiches, ces deux cents pages que, me servant d’une expression télégraphique fort en usage chez les hommes de lettres, je trouve «très bien ». J . R. Petits Français, par Eucius Morel (Savine). — Eugène Morel et l’empereur d’Allemagne (lire le dernier discours de celui-ci) sont absolument du même avis au sujet des lycées ; trop de latin, trop de grec et pas assez de notre histoire de France. Un projet d’alliacce en perspective, quoi. L’Alsace et là Lorraine rendues en échange d’un bon traité sur les études à faire, signé par l’auteur de l'ignorance acquise. Tant mieux, c’est ainsi que nous devons entendre le nouveau chauvinisme, consistant à taper sur nous-mêmes, histoire d’empêcher les autres de taper plus fort à leur tour. Eugène Morel, au milieu des différentes façons décadentes d’écrire, a sa façon à lui, très personnelle ; il alambique mais il chauffe furieusement ; si, quelquefois, on demeure perplexe devant une phrase, on a toujours vu la pensée un jaillir, comme une flamme assez féroce. « Laissez-nous pleurer, puisque ça nous amuse », déclare Eugène Morel au nez des bourgeois ébahis (je parle des bourgeois de lettres, car je doute que les autres le lisent). Et il finit par pleurer pas mal de fiel, ce qui ne doit point l’amuser toujours quant à la préparation du liquide. Il prend deux, petits Français, l’un névrosé, l’autre sain et bon vivant, et les promène à travers les premières études de l’existence . IL ressort de ces études qu’il vont voir des femmes. C’est on ne peut plus français et aussi très humain, à Paris comme à Rome, pour ne pas dire comme en Prusse. Tous les chemins grecs ou latins mènent les petits jeunes gens au gros chiffre en question, point prévu par les tables de Pythagore, Je crois que l’auteur insinue qu’il serait excellent de donner des femmes aux