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de m’en avoüer davantage, c’eſt aſſé que vous m’entendiez là-deſſus, & voici ce qui me reſte à vous dire. Juſqu’ici je n’avois point connu l’amour ; le féroce orgueil de vaincre, l’honneur d’effrayer des peuples & de ſubjuguer des Etats, le plaiſir tumultueux de la guerre & du carnage, et tout ce que la gloire des Héros porte avec elle de redoutable, voilà les douceurs qui me flatoient ; je n’en voyois point de plus dignes de charmer une âme qui nous vient du Ciel, & dont, à mon gré, les inclinations devoient être auſſi ſuperbes que ſon origine. Dieu même eſt appelé le Dieu des combats ; on l’a peint la foudre à la main ; rien ne nous frappe tant que ſa puiſſance, & je croyois qu’à ſon exemple, pour être le plus heureux de tous les hommes, il falloit en être le plus terrible. Je me trompois, Roxane ; Irene m’a déſabusé. Le vrai bonheur ne ſe trouve ni dans la victoire ni dans la terreur qu’on répand après elle. Ce ſang dont nos lauriers ſont teints, ces ravages dont nous conſternons la terre, & les gémiſſements des peuples, mêlent à nos plaiſirs je ne ſais quoi d’inquiet et de funeſte qui les corrompt. J’ai ſenti quelquefois en moi-même la nature s’attriſter de ma lugubre gloire, & condamner la joie que mon orgueil oſoit en pren-