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POUR L’INTERPRÉTATION DE ZARATHOUSTRA



Les fragments qui suivent sont empruntés aux Œuvres posthumes de Frédéric Nietzsche et peuvent aider à la compréhension d’Ainsi parlait Zarathoustra. Le philosophe lui-même semble avoir eu l’intention d’écrire un jour un glossaire à cet ouvrage, mais il ne parvint jamais à mettre son projet à exécution. Plusieurs notes tracées sur ses carnets, au hasard de l’inspiration, sont de simples résumés ou des aide-mémoire, par quoi il entendait fixer le sens de tel ou tel chapitre. D’autres, au contraire, donnent véritablement des éclaircissements et seront, pour le lecteur attentif, d’un secours précieux. Tels qu’ils se présentent ici et malgré leur caractère inachevé, ces quatre-vingt-deux aphorismes permettront en tous les cas de jeter un coup d’œil dans le laboratoire intellectuel de Nietzsche. — H.A.


I.

Tous les buts sont détruits : les évaluations se tournent les unes contre les autres ;

on appelle bon celui qui suit son cœur, mais aussi celui qui n’obéit qu’à son devoir ;

on appelle bon l’homme doux, conciliant, mais aussi l’homme brave inflexible, sévère ;

on appelle bon celui qui n’exerce aucune contrainte sur lui-même, mais aussi le héros de la domination de soi ;

on appelle bon l’ami absolu de la vérité, mais aussi l’homme rempli de piété qui transfigure les choses ;

on appelle bon celui qui s’obéit à lui-même, mais aussi l’homme pieux ;

on appelle bon l’homme distingué et noble, mais aussi celui qui ne méprise ni ne regarde de haut ;

on appelle bon l’homme charitable qui évite la lutte, mais aussi celui qui est avide de combats et de victoires ;

on appelle bon celui qui veut toujours être le premier, mais