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MERCVRB DK FRANCE— 16-1-1909 ment, mais que le jugement des hommes et des femmes rend déshonorante pour une jeune fille. MUa de La Musardière se souvint du mépris avec lequel sa mère avait traité, il y avait deux ans, une femme de chambre à qui était advenu un état pareil au sien. Cette fille se nommait Sophie. Elle s’oubliait volontiers dans les bras des garçons de ferme, à l’heure re­ cueillie dusoir, oùles chars gémissants ramènent pêle-mêle les filles et les hommes. MHode La Musardière en conclut que les mêmes causes produisent les mêmes effets, qu’il s’agisse d ’une fille de famille, ou d’une fille de service. Elle se rappela que Sophie n’avait pas honte de ses flancs énormes et mouvants. Le spectacle des animaux lui donnait une philosophie simple. Elle conservait la conscience des nécessités de la nature, et elle ne s’en doutait pas. Vers la même époque, la plus âgée des demoiselles de La Goize, mariée à un grand industriel, était venue traîner à Beauséjour une grossesse maussade et fatiguée. A la voir à côté de la femme de chambre, il semblait, certes, que c’était elle qui avait dil pécher. M,,#de La Musardière se dit que tel ne devait pas être l’avis de sa mère. Mme de La Musardière avait entouré de prévenances Mu* de La Goize, et mis Sophie à la porte. M1"* de La Musardière professait l’indulgence la plus profonde à propos des actes de l’amour; elledisait volon­ tiers qu’il fallait que jeunesse se passât. Très facile sur leurs mœurs, elle n’exigeait de ses domestiques qu’un service ponc­ tuel, mais elle redoutait le scandale; c’est pourquoi elle n ’ad­ mettait pas que ses bonnes devinssent enceintes. Sophie, chassée, quitta le château, un après-midi, les yeux gros de larmes, son petit baluchon à la main. Plusieurs fois, tandis qu’elle traînait sa taille lourde sur la route, elle s’était retournée vers la maison, où elle avait coulé des jours heu­ reux, peut-être aimé pour la première fois. Depuis, M11*de La Musardière n’entendit plus jamais parler d’elle. En pensant à Sophie, elle se dit : « Si malheureuxqu’ait été le sort de cette fille, iil’est moins encore quele mien. Elle dut, sans doute, aller accoucher dans quelque hôpital, pour re­ prendre ensuite sa vie sans contrainte. Comme elle est pauvre et libre, elle ne rend compte à personne de ses actes. M,[ede La Musardière tremblait, au contraire, rien qu’à