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LES SOUTIENS DE L’ORDRE

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ques devenns vieux.CTestlà, monsieur Binet, du bon socialisme. — N’est-ce -pas? dit Binet; il y a évidemment des vérités dans les revendications socialistes. — Certes, personne ne saurait le nier, cher monsieur; mais ce n’est pas en imaginant que Ton remédiera au mal. II nous faut, à mon avis, regarder vers le passé. D ’abord, mon­ sieur Binet, et eri cela je contrarierai peut-être vos opinions philosophiques intimes... — Dites, monsieur le comte, dites quand même. Je me suis toujours occupé d’affaires et de politique, et n’ai pas d’opi­ nions en philosophie. Mon scepticisme est celui du siècle. — Moi, monsieur, je conserve, au contraire, la religion de mes pères. Je la pratique ostensiblement, mais sans mysti­ cisme. Je crois même, cela soit dit en passant, que le mysticisme a beaucoup nuiàla religion, maisje prétends, monsieur lemaire, que Ton a eu grand tort d’enlever au peuple sa foi. Au temps où lés pauvres gens croyaient, ils étaient heureux : « Si nous ne mangeons selon notre faim, si nous ne buvons selon notre soif, disaient-ils, du moins la vie est courte, et Dieu est juste; nous aurons du bonheur après la mort.» Ces pensées consolantes, monsieur le maire, leur aidaient à supporter une existence difficile. On a eu tort de tuer la religion dans l’âme des pauvres gens; nous l’y rétablirons, monsieur le maire. Nous restaurerons aussi les corporations. Dans le passé, vous dis-je, nous découvrirons tous les remèdes à lacrise présente. M. de La Musardière parlait des choses d’autrefois avec vénération. Binet ne savait que répondre. Un silence gênant pesa sur les deux hommes. M . de La Musardière comprit que la conversation prenait un chemin que Binet se refuserait pour le moment à suivre. M. de La Musardière jouait avec un couteau à papier délica­ tement ciselé; une patte de chevreuil en formait le manche. Il faisait chaud. Binet, renversé dans un fauteuil, soufflait vers le plafond, où une mouche voletait avec un bourdonnement d’ailes. Le premier, il rompit le silence. — Vous vous occupez, monsieur le comte, je crois, interro- gea-t -il, de travaux littéraires? — J’affectionne surtout les travaux d’érudition. C ’est ainsi queje termine le catalogue des livres imprimés dans le dépar­