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CHAMFORT ET ALFRED DE VIGNY Une pensée profonde, et qui a pudonner une précieuse indi­ cation à Schopenhauer, se lit dans le même recueil : La nature paraît se servir des hommes pour scs desseins, sans se soucier des instruments qu’elle emploie, à peu près comme les tyrans se défont de ceux dont iis se sont servis. Qu’on se rappelle maintenant les vers immortels : Ne me laisse jamais seul avec la nature... Pour l’un, la vie est une « maladie » dont le sommeil nous soulage et dont la mort nous délivre ; pour l’autre, « un acci­ dent sombre entre deux sommeils infinis ». Le mieux est de se réfugier dans « la retraite », comme dit l’un, et, comme dit l’autre, dans « la solitude ». On saitcom­ bien de fois Vigny a parlé de l’isolement,et de ses vertus. « La solitude est sainte .» L’œuvre doit avoir le « parfum des sain­ tes solitudes ». Oh ! fuir ! fuir les hommes et se retirer parmi quelques élus,élus entre mille milliers de mille ! (Journal.) Ecoutons maintenant Chamfort : On est plus heureux dans la solitude que dans le monde... Les pensées d ’ un solitaire, homme do sens, et fût-il d’ailleurs mé­ diocre, seraient bien peu de chose, si elles ne valaient pas ce qui se dit et fait dans le monde. Vigny, aussi bien que Chamfort, s ’insurge contre l’esprit grégaire; Vigny se montre très hautain : Les animaux lâches vont en troupes. Le lion marche seul dans le désert. Qu’ainsi marche toujours le poète. Chamfort, parlant des Académies, en explique la formation par l’insécurité des premiers hommes de lettres : « Quand les voyageurs redoutent les grands chemins, ils se réunissent en caravane. » Mais plus loin il déclare déshonorante cette pro­ miscuité. Alfred de Vigny écrira ces lignes bien caractéristiques dans la préface de Chatterton. La solitude est sainte. Toutes les associations ont les défauts des couvents. Elles tendent à classer et diriger les intelligences, et fondent peu