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MERCVRE DE FRANCE — 16-I-1909

Mais ici rien ne m’empêchera d’être brutal et de dire aux Allemands quelques dures vérités : qui donc le ferait autrement ? Je parle de leur impudicité en matière historique. Non seulement les historiens allemands ont perdu complètement le coup d’œil vaste pour l’allure et pour la valeur de la culture, non seulement ils sont tous des pantins de la politique (ou de l’église), — ils vont même jusqu’à proscrire ce coup d’œil vaste. Il faut être avant tout « allemand », il faut être de la « race », alors seulement on a le droit de décider de toutes les valeurs et de toutes les non-valeurs en matière historique — on les détermine… « Allemand », c’est là un argument ; « l’Allemagne, l’Allemagne par-dessus tout », c’est un principe ; les Germains sont « l’ordre moral » dans l’histoire ; par rapport à l’Empire romain ils sont les dépositaires de la liberté ; par rapport au XVIIIe siècle les restaurateurs de la morale, de l’« impératif catégorique »… Il y a une façon d’écrire l’histoire conforme à l’Allemagne de l’Empire ; il y a, je le crains, une façon antisémite d’écrire l’histoire, — il y a une façon d’écrire l’histoire pour la Cour, et M. de Treitschke n’a pas honte…

Récemment une opinion d’idiot en matière historique, un mot de l’esthéticien souabe Vischer, heureusement décédé depuis, fit le tour des journaux allemands, comme une « vérité » que tout bon Allemand devrait approuver. Voici ce mot : « La Renaissance et la Réforme, toutes deux réunies, forment un tout ; elles constituent une régénération esthétique et une régénération morale. » — Quand j’entends de pareilles choses, ma patience est à bout, et j’ai envie de dire aux Allemands tout ce qu’ils ont déjà sur la conscience, je considère même que c’est un devoir de le leur dire. Ils ont sur la conscience tous les grands crimes contre la culture des quatre derniers siècles !

Et ceci toujours pour la même raison, à cause de leur profonde lâcheté en face de la réalité, qui est aussi la lâcheté en face de la vérité, à cause de leur manque de franchise qui chez eux est devenu une seconde nature, à cause de leur « idéalisme »… Les Allemands ont frustré l’Europe de la moisson qu’apportait la dernière grande époque, l’époque de la Renaissance, ils ont détourné le sens de cette époque, à un moment où une hiérarchie supérieure, où les valeurs nobles qui affirment la