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MERCVRE DE FRANCE — 16-I-1909

La préface fut écrite le 3 septembre 1888. Lorsque, le matin, après l’avoir rédigée, je sortis en plein air, je trouvai devant moi la plus belle journée que la Haute-Engadine m’eût jamais montrée, un jour transparent, ardent dans ses couleurs, recélant en lui tous les intermédiaires entre la glace et le midi. Je ne quittai Sils-Maria que le 20 septembre, retenu comme je l’étais par des inondations, n’étant bientôt et pour plusieurs jours que le seul hôte de ce lieu merveilleux à qui ma reconnaissance fera le don d’un nom immortel. Après un voyage plein d’incidents, où je fus même en danger de mort, atteignant tard dans la nuit Come envahi par l’eau, je parvins à Turin le 21. Turin est mon lieu démontré et je l’ai choisi dès lors pour résidence. Je repris le même logement que j’avais déjà habité au printemps, Via Carlo Alberto 6III, en face du puissant palais Carignano, où est né Victor-Emmanuel, mes fenêtres ayant vue sur la place Charles-Albert et au sud sur un horizon bordé de collines. Sans hésitation, et sans me laisser distraire un moment, je me remis de nouveau au travail. Il ne me restait plus qu’à terminer le dernier quart de l’ouvrage. Le 30 septembre, grande victoire ; septième jour ; oisiveté d’un dieu qui se promène le long du Pô. Le même jour j’écrivis encore la préface du Crépuscule des Idoles, dont la correction d’épreuves m’avait servi de récréation durant le mois de septembre.

Je n’ai jamais vécu un semblable automne, jamais je n’aurais cru qu’une chose pareille fût possible sur la terre, — un Claude Lorrain transporté dans l’infini, chaque jour d’une égale perfection effrénée. —

LE CAS WAGNER
UN PROBLÈME MUSICAL


I.

Pour pouvoir rendre justice à cette œuvre, il faut souffrir de la fatalité de la musique comme d’une plaie ouverte. — De quoi je souffre, lorsque je souffre de la fatalité de la musique ? Je souffre de ce que la musique ait perdu son caractère affirmateur et transfigurateur du monde, je souffre de ce qu’elle soit une musique de décadence et non plus la flûte de Dionysos… En admettant cependant que l’on considère la cause de la mu-