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Le nombre de femmes de talent qui, spécialement pendant les dernières années de sa vie, témoignèrent à Poe leur affection est tout à fait remarquable. Stedman a fait observer qu’envers les femmes Poe professait « une sorte de respect chevaleresque, provenant, depuis son enfance, de l’idée qu’il se faisait d’elles », et le poète aimait citer fréquemment la phrase de Puckle : « Un homme bien élevé ne se permet jamais de parler mal des femmes. » Poe marqua toujours pour les femmes une déférence parfaite, en tant qu’homme et en tant que critique, leur décernant parfois, à ce dernier titre, plus de louanges qu’elles n’en méritaient.

Il mettait fréquemment, dans l’expression de sa gratitude et de son admiration, une intensité telle que ses intentions ont été méconnues par ceux qui n’étaient pas familiers avec la ferveur de son style ; mais ceux qui pénétrèrent la véritable nature du poète, s’accordent avec Mrs Osgood pour dire que, pendant les dernières années de sa vie, son affection ne se détourna jamais de sa femme : « Je crois qu’elle fut la seule femme qu’il ait vraiment aimée », assure Mrs Osgood, et elle donne la belle ballade d’Annabel Lee, écrite à la mémoire de Virginia, comme une preuve touchante de la durable affection de Poe pour sa compagne. « Il est absolument faux, — écrit Mrs Clemm, la belle-mère de Poe, — qu’il ait été infidèle ou cruel envers elle. Il lui fut dévoué jusqu’au dernier moment comme tous nos amis peuvent l’attester… Comme nous étions heureux dans notre beau logis ! (à Fordham) », s’écrie-t-elle. Mrs Osgood était une femme capable d’éveiller l’admiration par ses charmes intellectuels et physiques. « Ne pas écrire de la poésie, ne pas l’agir, la penser, la rêver, l’être, est entièrement hors de son pouvoir », déclara Poe, tandis que les sentiments de la dame pour lui peuvent se deviner par les vers qu’elle lui consacre dans le Broadway Journal, sous ce titre To

In Heaven a spirit doth dwe I

Whose heartstrings are a lute.

EDGAR POE.


I cannot tell the world how thrills my heart
To every touch that flees thy lyre along ;
How the wild Nature and the wondrous Art
Blend into Beauty in thy passionate song —
But this I know — in thine enchanted slumbers
Heaven’s poet, Israfel — with minstrel fire —