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d’affection qu’il ait eue pour le prodigue, Mr Allan ne pouvait guère lui fermer sa porte en un pareil moment. Finalement, il lui obtint un brevet de cadet à l’Académie Militaire de West Point, où Poe fut admis le 21 juillet 1830 et où il resta jusqu’en mars 1831. Les qualités qui l’avaient fait apprécier déjà, dans les établissements où il avait étudié, firent de lui l’élève favori à l’Académie Militaire, encore que la sévérité de la discipline et l’absence de toute distraction durent peser désagréablement sur son tempérament indépendant. On rapporte néanmoins que « l’impression laissée par Poe, pendant son court séjour à l’Académie, fut hautement favorable ». Il aurait pu y achever ses études avec succès, mais certaines nouvelles qu’il apprit lui firent modifier complètement ses projets. Peu après la mort de sa femme, Mr Allan s’était remarié et un fils ne tarda pas à lui naître. Rapidement informé qu’il ne devait plus se considérer comme l’héritier de son père adoptif, Poe estima que l’armée n’offrait pas une carrière convenable pour un homme sans fortune et il réussit à obtenir son renvoi de West Point.

Il résolut d’offrir ses services aux Polonais, soulevés à ce moment contre leurs oppresseurs russes. Il écrivit au colonel Thayer, directeur de l’Académie Militaire, demandant une sorte de certificat d’études qu’il présenterait, à Paris, au marquis de Lafayette, qui sympathisait avec les Polonais, et qui, en souvenir de sa fidèle amitié pour le général Poe, ne pouvait manquer de s’intéresser au jeune cadet. La capitulation de Varsovie mit fin à ces aspirations militaires.

Dès lors, Poe se tourna vers la littérature pour en faire sa profession. On ne sait à peu près rien de ses luttes jusqu’à l’automne de 1833, où on le trouve à Baltimore remportant un prix de cent dollars offert, par une publication locale, à la meilleure nouvelle envoyée au concours. L’un des membres du jury, John P. Kennedy, romancier populaire, riche et très bon, témoigna une amicale sympathie au jeune lauréat, dont les affaires étaient alors rien moins que prospères. Kennedy lui donna libre accès à sa table, « l’usage d’un cheval pour prendre à son gré de l’exercice ; en fait, il l’arracha au désespoir ».

Avec l’aide d’un tel ami, qui le secourut en plus d’un moment de gêne, comme Poe le déclara avec gratitude, la situation du poète devait forcément s’améliorer. Grâce aux