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vêtrer, par s’entrecroiser dans un formidable chaos, que le canon tonne assez rarement.

Mais la plupart des oppositions continentales, qu’on observe aujourd’hui, et qui font la substance même — si l’on peut dire — de la politique courante, sont d’origine peu lointaine : avant la guerre de 1870-71, la France et l’Allemagne ne se considéraient point comme des ennemies nées. L’Allemagne et l’Angleterre ne se mesurent du regard que depuis une dizaine d’années. Il fut un temps où l’irrédentisme italien sommeillait beaucoup plus que maintenant, et où la Consulta de Rome se méfiait un peu moins du cabinet de Vienne. Il fut un temps aussi (et notre génération l’a vécu), où la Russie et l’Autriche s’entendaient à merveille, bien que l’une figurât dans la Duplice et l’autre dans la Triple-Alliance. Ni l’antagonisme franco-allemand, ni l’hostilité anglo-allemande, ni la tension austro-russe ne sont des phénomènes permanents. À l’inverse, comme on l’a fort justement affirmé, il y a une question ou une crise d’Orient, depuis l’année où les Turcs ont mis le pied dans la Turquie actuelle. Cette crise s’assoupit, se tait pendant un laps de temps plus ou moins bref, se réveille avec bruit, s’endort à nouveau, pour jeter bientôt le trouble dans l’univers ; elle a ses moments inquiétants, comme les poussées volcaniques ; c’est un de ces moments qui se prolonge depuis quelques mois.

À la vérité, les nationalités qui se heurtent dans les Balkans, et même au delà de l’Archipel, dans l’Asie-Mineure, n’ont pas attendu le 5 octobre dernier pour prendre les armes les unes contre les autres. Elles se détestent seulement aujourd’hui, ou fraternisent, avec plus de fracas. C’est une plaisanterie de dire que, depuis 1878, un certain état de fait avait prévalu en Orient, car, à chaque instant, cet état de fait se modifiait ou menaçait de se transformer complètement. Nous avons eu la révolution rouméliote et la guerre serbo-bulgare, puis les massacres d’Arménie, puis la guerre turco-grecque, puis le long et affreux imbroglio de la Macédoine, avec les incessantes batailles des Bulgares, des Grecs et des Koutzo-Valaques sous l’œil paternel des puissances, sous le contrôle de l’inspecteur des réformes et de la gendarmerie internationale. Mais ces conflits étaient en quelque sorte localisés ; les grands États n’y intervenaient point, étant occupés ailleurs, à surveiller la