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REVUE DE LA QUINZAINE 11y aquelque temps, M. John Lanenous révélait un poète nouveau, Mr Lascelles Abercrombie, et voici maintenant qu’il nous présente Mr Esmé C. Wiugfield Stratford, dont le recueil, The Gall of Davon, nous paraît être extrêmement inégal. Tout d’abord une préface am bitieuse; bien que l’auteur déclare que « tout ce qui tend à la gloire de l’Art devrait tendre à l’humilité de l’artiste », il invo­ que pompeusement la Poésie, la Science, la Vérité, la Philosophie, la Cité Céleste, l’Eternité, la Beauté, la Bonté, la Matière, laMprale, etc., etc., toutes avec des majuscules. La Poésie, proclame-t -il, est le lançage de l’âme ; la vision du poète n’est jamais efFacée, mais les découvertes de la science deviennent bientôt de simples curiosités; le Parnasse est le Sinaï d’où sont tonitrués les commandements de Dieu et c’est à leur péril que les hommes se détournent vers leurs idoles, la Matière et la Morale; par l’artiste parle la voix de Dieu, etc. Ce solennel manifeste suffirait à prévenir fâcheusement contre le contenu du volume. Ou aurait tort cependant de selaisser influen­ cer dans ce sens. II y a d’excellentes choses dans ces Appels de l Au.be. Comme dans tout recueil dedébut, les réminiscences y four­ m illent, mais la note personnelle y est trop fréquente pour faire dé­ sespérer de l ’avenir d ’un poète très remarquablement doué, somme toute. C’est àlafin de son volume, Mirrors ofIllusion, que Mr Ed­ w ard Storer place le commentaire qu’il ju^e indispensable d’adjoin­ dre à ses vers. Dirai-je qu’à ceux-ci je préfère celui-là, car le poète y dit d ’excellentes choses et il prouve qu’il a longuement et intime­ m ent fréquenté les poètes, et surtout, semble-t -il, nos poètes contem­ porains français, ceux qu’on étiquette symbolistes. Ilsaisitle charme du vers libre « invention de M. Gustave Khan (sic), adoptée depuis lors par des poètes français tels que Verhaeren, Vielè-Gnffin, Henri de Régnier. Robert de Montesquiou, etc., et des poètes anglais, comme Henley et Francis Thompson ». Mais, et il l’ajoute du reste, le vers libre a été employé par tous les poètes anglais, à vrai dire, et, en s ’en servant, M. Edward Storer reste dans la tradition poéti­ que an glaise qui n’exigea jamais une rigidité déformés aussi inflexi­ ble q u e celle qu’imposaitla tradition française avant les efforts de ces derniers trente ans. Maisily a trop de maniérisme, tropde procédé dan s la poésie à laquelle s’adonne Mr Storer ; il subit évidemment des influences déjà surannées dont il lui faudra se débarrasser, car bien des poèmes de son recueil ont un charme exquis, une musique séd uisa n te, une émotion attendrie, une grâce aimablequi font regret­ ter le m anque de naturel des autres. Certains morceaux descriptifs sont captivants et ornés d’images chatoyantes; des fragments exprim ent un sentiment trèsjuste delà naturedel’hommeetdes