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a du moins permis à M. Rey de mettre en lumière, sous le jour du problème de la quantité qu’il a identifié avec celui de la raison, les points de vue critiques de M. Poincaré et ceux de Mach à propos de la notion actuelle de la matière), les diverses conceptions relatives à la physique, celles entre autres de Duhem, les vues de M. Bergson qui ont été rarement plus clairement distinguées, les tentatives enfin en vue de fonder une morale sur le déterminisme scientifique dont M. Lévy-Brühl, avec les conclusions de la Science des mœurs, apparaît le représentant le plus autorisé. Au cours de ces analyses M. Rey, a su apporter lui-même à la rigueur de la distinction qu’il avait tracée quelques-unes de ces atténuations dont je signalais la nécessité, et si son ouvrage laisse place selon la diversité des tendances à des diversités de vues dans un sens ou dans l’autre, il n’en constitue pas moins une introduction des plus utiles à l’étude de la pensée philosophique contemporaine.

M. Rey a été amené, ainsi que je l’ai noté, à analyser, au cours de son ouvrage, les idées de Mach, telles qu’elles s’affirment dans la Connaissance et l’erreur, dont M. Marcel Dufour a donné une récente traduction. Il n’y a plus à signaler l’importance d’un tel ouvrage. Je n’en retiendrai qu’un point sur lequel M. Rey a lui-même attiré l’attention ; il s’agit de l’identification que commande, entre la raison et l’expérience, la conception théorique, d’Ernest Mach. Une telle conception attribue à la connaissance une source unique dans l’expérience. La raison, selon Mach, est un produit de l’évolution, soit, d ’un processus empirique. Elle est le résultat de l’adaptation d’une certaine espèce au milieu, c ’est-à-dire d’un système déterminé à l ’ensemble des systèmes qui composent l’univers. Cette adaptation d ’un ordre spécial, et qui s’est fortifiée par sa propre répétition à travers la durée, forme à la base de la psychologie humaine, avec l’ensemble des évaluations qu’elle implique, le moyen d’une nouvelle adaptation progressive dont l’universalité et le caractère nécessaire résultent du fait de son antériorité, du moment de l’évolution cosmique où la relation qu’elle exprime s’est nouée. Cette très belle théorie dont on ne peut donner ici qu’une idée incomplète, concilie de la sorte le caractère de certitude qui appartient à la connaissance rationnelle avec l’origine empirique de la raison dont l’homogénéité, dans son rapport avec les autres éléments de la connaissance, est ainsi restituée.

En composant la Valeur de l’Art, M. Guillaume Dubufe s’est soucié de mettre en regard de l’idée de vérité que M. Poincaré lui semble avoir défendue avec la Valeur de la Science, l’idée de beauté où l’Art s’exprime. Je ne crois pas que M. Poincaré ait prétendu fonder la valeur de la Science sur la possibilité qu’elle impliquerait d’atteindre jamais la vérité sous l’aspect mystique que lui