Page:Mercure de France, t. 77, n° 277, 1er janvier 1909.djvu/72

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
68
MERCVRE DE FRANCE — 1-I-1909


taines jaillissantes. Et mon âme, elle aussi, est une fontaine jaillissante.

Il fait nuit : voici que s’éveillent tous les chants des amoureux. Et mon âme, elle aussi, est un chant d’amoureux, —

8.

De pareilles choses n’ont jamais été écrites, jamais été senties,
 jamais été souffertes : ainsi souffre un dieu, un Dionysos. La
 réponse à un pareil dithyrambe de l’isolement où se trouve le
 soleil en pleine lumière pourrait être donnée par Ariane… Qui
 donc sait en dehors de moi ce que c’est qu’Ariane !… De toutes 
ces énigmes personne ne pouvait jusqu’à présent donner la
 clef ; je doute même que quelqu’un y vît jamais une énigme.

Zarathoustra détermine une fois avec sévérité sa tâche et
 c’est aussi la mienne ! Il ne faut pas se tromper au sujet de 
la signification précise de cette tâche : Zarathoustra est affirmatif jusqu’à justifier aussi tout le passé, jusqu’à faire le
 salut du passé.

Je marche parmi les hommes, comme parmi les fragmentsde l’avenir, de cet avenir que je vois.

Et à cela se réduit mon effort que je parvienne à réunir et 
à recomposer ce qui est fragment, et énigme et épouvantable
 hasard ?

Et comment supporterai-je d’être homme, si l’hommen’était pas aussi poète et devineur d’énigme et sauveur du 
hasard ?

Sauver tout le passé et transformer tout « ce qui était » 
pour en, faire « ce qui devrait être », c’est cela seul que je 
pourrais appeler le salut.

En un autre passage Zarathoustra détermine aussi sévèrement que possible ce qui, pour lui, pourrait seul être 
« l’homme », — non point un objet d’amour ou même de
 pitié — Zarathoustra s’est aussi rendu maître du grand dégoût que lui inspire l’homme : l’homme est pour lui une chose
informe, une matière, une laide pierre qui a besoin du stat
uaire :

Ne plus vouloir, et ne plus évaluer, et ne plus créer ! ô que 
cette grande lassitude reste toujours loin de moi.

Dans la recherche de la connaissance, ce n’est encore que
la joie de la volonté, la joie d’engendrer et de devenir que je